En Algérie, questions et critiques après la sortie « rugueuse » d’Emmanuel Macron

Les propos du Président français s’interrogeant sur l’existence de la « nation algérienne » ont braqué même les opposants les plus farouches au régime algérien.

Par Karim Amrouche (Alger, correspondance) – Publié le 04 octobre 2021 à 18h00 – Mis à jour le 04 octobre 2021 à 20h57 

Le président français en visite à Saint-Adrien, le 4 octobre 2021.
Le président français en visite à Saint-Adrien, le 4 octobre 2021. SEBASTIEN BOZON / AFP

A Alger, les déclarations du Président Emmanuel Macron, mêlant critique du « système algérien » et interrogation sur l’existence de la « nation algérienne » ont braqué même les opposants les plus durs. Ses propos, rapportés samedi 2 octobre en exclusivité par Le Monde, ont été immédiatement qualifiés sur les réseaux sociaux de « graves » et « dangereux », et ne pouvant être expliqués par le seul contexte électoral français.

Avant même que réagisse la présidence algérienne, Abderrezak Makri, le chef du Mouvement de la société pour la paix en Algérie (MSP, islamiste), deuxième parti représenté à l’Assemblée, fustigeait « une déclaration de guerre contre l’Algérie, son Etat et son peuple ». Selon le dirigeant islamiste, « un président ignorant de l’Histoire, arrogant, insulte le président algérien, et s’engage dans une confrontation sans précédent avec l’ensemble du système politique et traite l’Algérie comme si elle n’était pas un Etat souverain».Lire aussi  France-Algérie : l’heure des vérités

Une question intrigue à Alger : pourquoi le Président Emmanuel Macron a-t-il choisi de rompre avec une attitude conciliante − et même de soutien, selon certains opposants − pour émettre des jugements d’une grande dureté vis-à-vis du régime algérien, qualifié de « système politico-militaire » ? Après la publication du communiqué de la présidence annonçant un rappel de l’ambassadeur d’Algérie à Paris, les partis dits du pouvoir, le Front de libération nationale (FLN) et le Rassemblement national démocratique (RND), ainsi que d’autres petits partis islamistes, ont dénoncé à leur tour les propos du président français. Les partis de la mouvance démocratique, le Front des forces socialistes (FFS) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) ne s’étaient en revanche toujours pas prononcés lundi, à la mi-journée.

Certains militants du mouvement de protestation du Hirak estiment à mots couverts que les déclarations de M. Macron, en suscitant une indignation nationale, pourraient contribuer à servir le régime. Sur les réseaux sociaux, c’est d’abord le questionnement du chef de l’Etat français sur l’existence de la nation algérienne avant la colonisation et, à un degré moindre, sa comparaison jugée « fausse » entre cette entreprise coloniale et la domination turque, qui suscitent les réactions les plus véhémentes.

« Rentrer dans le désordre »

« Oui, la présence ottomane était une occupation authentique. (…) Mais comparer quelques centaines de janissaires qui se contentaient de lever l’impôt (difficilement) à la manière de petits truands, et ne se mêlaient absolument pas des affaires des « indigènes », à une colonisation de peuplement de cent trente-deux ans, qui a transformé jusqu’au hameau le plus reculé, a accaparé toutes les richesses du pays (…), c’est tout de même de l’ignorance profonde », s’est ainsi indigné sur Facebook le jeune historien Yassin Temlali

L’ancien ministre et diplomate Abdelaziz Rahabi a quant à lui dénoncé « l’opportunisme et les contre-vérités historiques”du président Macron. L’Algérie, pendant les quatre premières années de tout mandat présidentiel français, est «  perçue comme un client et un partenaire sécuritaire », puis comme « un épouvantail pendant la dernière année », estime M. Rahabi qui pointe des visées « électoralistes ».Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Entre Paris et Alger, une crise à la mesure des espoirs déçus d’Emmanuel Macron

Reprenant le thème consensuel du refus des ingérences étrangères, l’ancien diplomate estime que la « démocratisation de l’Algérie doit rester une revendication interne car les ingérences des puissances étrangères sont, ici comme ailleurs, plus un facteur de ralentissement et de déviation qu’un élément d’accélération des expériences de transition démocratique ».

L’une des rares, pour ne pas dire l’unique, prise de position positive à l’égard du président français est venue du politologue Mohammed Hennad,qui a estimé, dans une interview à Radio M, une webradio privée, que les « Algériens doivent savoir gré au président Macron d’avoir dit tout haut ce que la classe politique française pense tout bas et de les avoir mis au parfum de ce que les autorités françaises – que l’on prend pour complices – pensent vraiment des dirigeants algériens ».

Au sujet de l’impact de cette crise sur les relations entre Alger et Paris, le politologue affirme ne s’attendre à rien de particulier « à part quelques agitations et des tirades patriotardes ». Selon lui, « tout va, donc, rentrer dans l’ordre, ou plutôt dans le désordre auquel nous sommes bien habitués ». Un universitaire, qui ne souhaite pas être cité, estime que le président français exprime, de manière « rugueuse », des « attentes déçues » à l’égard du régime algérien. A l’en croire, Emmanuel Macron aurait espéré un engagement plus fort des Algériens au Sahel au moment où la France recalibre l’opération Barkhane, mais « ce remplacement algérien n’est pas venu ».

Karim Amrouche(Alger, correspondance)

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